Mot de la directrice artistique
C’est en privilégiant la rencontre intime et le plus souvent avec des moyens volontairement artisanaux que je m’applique à dessiner le monde. Je glane des états de présence comme j’imagine un peintre choisir ses couleurs. Je préconise un jeu dépouillé qui favorise une adresse directe au public. Les spectacles sont faits de courts tableaux, chansons, poèmes, mouvements dansés. À la période du montage final, je reprends le chemin des sensations. Je juxtapose, j'additionne, je soustrais… « Je sculpte le temps » selon l’expression du cinéaste russe Andreï Tarkovski.
Je porte toujours une attention particulière à l’enveloppe visuelle et sonore des spectacles qui constitue, selon moi, l’écrin sur lequel se dépose le sens symbolique de chaque proposition. La scénographie rappelle le plus souvent la pratique de l’installation. Les éclairages sont toujours chauds et les ambiances sonores, en direct ou enregistrées, favorisent la création d’un lieu étrange mais convivial.
J’invite les petits et les grands à plonger dans une rêverie méditative où les beautés et les mystères du monde se dévoilent quand on y est attentif et nous échappent complètement quand on oublie de l’être. Empreinte de poésie, cette pratique n’est pourtant pas hermétique. Elle fait plutôt confiance à la logique de l’inconscient et à celle de l’humour.
Quand je revisite mon parcours artistique, je me rends compte que le monde de l’enfance y a toujours été présent. Des souvenirs et des anecdotes de l’enfance ont nourri tous les scénarios de mes 20 premières années de pratique tant en performance que dans le secteur interdisciplinaire. Pas étonnant qu’à la demande de diffuseurs spécialisés, entre 1990 et 2001, j’ai adapté pour les enfants et les adolescents trois spectacles destinés, à l’origine, au public adulte.
En posant mes valises dans le secteur toute petite enfance (10 mois à 5 ans), je pense que, comme le dirait le poète Gaston Miron, … « je suis arrivée à ce qui commence ». C’est qu’au-delà des différences culturelles, religieuses, ethniques ou socio-économiques, ce qui nous relie tous et toutes en tant qu’être humain, c’est l’enfance!
Cette période si intense de la vie humaine où nous apprenons à nous mouvoir, à devenir propre, à s’approprier les clefs du langage et les outils de conceptualisation des idées et, surtout, à définir notre identité, c’est-à dire un Je qui nous distingue de l’Autre : tout ça, nous l’avons appris en jouant et en expérimentant.
Si souvent cité en art contemporain, le pédopsychiatre Donald W. Winnicott explique que la plus grande partie du vécu du petit enfant réside dans la constitution d’une aire intermédiaire entre lui et sa mère. Il dira : « Cette zone subsiste tout au long de la vie dans le mode d’expérimentation intense qui caractérise les arts, la religion, la vie imaginaire et le travail scientifique ».
Les enfants nous ramènent donc à l’importance de jouer! Ils nous informent sur l’intensité et le sérieux du jeu et exigent de notre part une écoute active. Avant l’âge de trois ans, ils ne forment pas un public homogène car ils ne connaissent pas les conventions du « théâtre » ou des sorties culturelles. Voilà pourquoi je m’amuse à répéter que jouer pour les bébés, c’est comme jouer dans un bar. Ce n’est jamais un public captif. Parfois un enfant surpris ou apeuré réagit en allant rejoindre un adulte. Le manque de justesse ou l’inconfort d’un interprète est repéré instantanément et se répercute directement dans l’assistance. Ces signaux nous incitent à nous recentrer, parfois à ralentir pour attendre celui ou celle qui est en détresse ou à parler moins fort pour rétablir l’équilibre de la représentation et continuer à jouer de connivence avec le public.
Amorcée il y a plus de 15 ans, cette avenue de recherche me passionne. Avec nos créations, nous abordons des thèmes et des questionnements universels : la sensation de vivre enraciné, l’altérité, la fraternité, l’origine du monde, le mouvement des émotions, le passage secret entre l’imaginaire et la réalité.
Les spectacles signés Des mots d’la dynamite rejoignent enfin toute la famille. Les enfants viennent accompagnés de leurs éducatrices et éducateurs, mais aussi de leurs parents et de leurs grands-parents. Notre travail trouve sa place dans la communauté alors que les petits s’initient à l'expérience culturelle et, de ce fait, à l'expérience citoyenne.
Nathalie Derome
Cofondatrice et directrice artistique et générale